Pale Violet




















Pale Violet, 2020
Solo exhibition, Galerie Derouillon, Paris
Photographs : Aurélien Mole

Quelle que chose
Par Aurélien Mole
(english below)

J’ai étudié la Peinture mais je ne suis pas peintre ou peut-être pas encore ! Mon domaine d’expertise est la photographie et après un certain nombre d’années de pratique, je perçois assez bien ce que c’est que de devenir photographe. Cela se résume au fait d’appuyer sur un bouton.
De même, on peut essentiellement réduire la peinture au fait d’étendre un pigment sur une surface. C’est d’ailleurs pour cette simple raison qu’il est possible de faire le lien entre les grottes de Lascaux et la peinture contemporaine.
Voilà donc ce que c’est que de faire de la peinture. Mais c’est autre chose que d’être peintre. Être peintre, c’est avoir compris quelque chose de la Peinture. En tant que non-peintre, je ne peux parler de ce quelque chose qu’en me reportant de façon analogique à ce que je comprends de la Photographie. Dans le cas qui nous intéresse, ce qu’il faut comprendre de la Peinture est difficilement exprimable. En lisant des livres sur le sujet, on peut comprendre la Peinture mais on ne comprend pas quelque chose de la Peinture. Pour ce faire, il faut se poser des questions en peinture, ce qui implique à minima, d’étendre du pigment sur une surface.

Les questions en peinture de My-Lan Hoang-Thuy sont intéressantes pour au moins deux raisons. La première a trait à l’époque : qu’est ce que faire de la peinture aujourd’hui ? Quelles sont les techniques qui sont offertes au peintre et qui sont susceptibles d’étendre encore ce que nous définissons comme la Peinture ? My-Lan utilise de l’acrylique, une résine synthétique qui enrobe les pigments et qui a pour première qualité ou défaut de sécher rapidement. A contrario, l’huile dont la siccativité est plus lente permet de retravailler la peinture dans le frais. L’acrylique sèche aussi sans craqueler grâce à l’élasticité de ses polymères.
Ces qualités sont au cœur des usages que l’artiste fait actuellement de ce matériau. La peinture, dans sa plus stricte matérialité ne s’étend pas ici sur un support, elle est considérée comme le support lui-même. C’est à la fois un saut technique et conceptuel dont on peut faire remonter la généalogie hexagonale jusqu’aux expansions du sculpteur César qui a n’en pas douter, avait bien compris quelque chose de la Sculpture.
L’autre paramètre technique propre à sa peinture est un usage décomplexé de l’imprimante dans le droit fil des expérimentations d’un Wade Guyton. C’est l’image imprimée sur la peinture qui renvoie celle-ci à son statut de fond. Car la peinture, même quand elle n’est pas à l’huile, cherche toujours à remonter à la surface ! Ce mouvement ascendant crée la tension qui habite ces peintures de petit format.
Auparavant, dans les précédentes séries de l’artiste, les rôles étaient clairement définis : l’acrylique était matière et l’impression était image. Aujourd’hui l’acrylique s’agrège en motifs et en formes, elle dit déjà bien plus de choses en Peinture. On peut y retrouver un écho contemporain de la petite peinture Nabi de Paul Sérusier, intitulée Le Talisman. Bref, la peinture, tout en continuant de faire matière, fait image.

Ce qui nous amène à la seconde raison qui fait que les questions en peintures que pose My-Lan sont intéressantes. Il y a d’autres images qui habitent ces peintures : des corps féminins nus qui s’étirent comme des liquides sur du verre, à la surface de ces images en acrylique. Ce corps qui se répète est celui de l’artiste, sans qu’il soit pour autant question d’autoportrait. Comme pour les premières photographies en noir et blanc de Cindy Sherman c’est avant tout la disponibilité immédiate de ce corps qui en fait l’intérêt. C’est donc un matériau, au même titre que l’acrylique. Cette figure ne l’emporte pas sur la matière et, tandis que nous avons l’habitude qu’une image ancre la peinture dans la figuration, ici, tout semble plus flottant. La peinture et l’impression hésitent à s’unir en une composition ou a rester concurrents pour la conquête de notre regard.
On pourrait donc conclure de cette façon : dans le cadre des peintures de My-Lan, la peinture acrylique pose à ces images de corps imprimés la même question que l’écran de mon téléphone aux images des sites pornographiques que je consulte.

Sans connaitre l’exacte teneur de cette interrogation, je sais pourtant qu’il s’agit d’une bonne question en Peinture.





I studied Painting but I am not a painter, or maybe not yet! My expertise is in photography and after a number of years of practice, I have a pretty good idea of what it is to become a photographer. It boils down to pushing a button.
Likewise, painting can essentially be boiled down to the act of spreading pigment on a surface. It is for this simple reason that it is possible to see a link between the Lascaux caves and contemporary painting.
So that's what painting is all about. But being a painter is something else. To be a painter is to have understood something about Painting. As a non-painter, I can only talk about this “je ne sais quoi” by referring to what I understand about Photography. In this case, it is difficult to express what is understood about Painting. By reading books on the subject, you can understand Painting, but you do not understand anything about Painting. In order to do this, we must question ourselves about Painting, which implies, at the very least, spreading pigment on a surface.

My-Lan Hoang-Thuy's questions about painting are interesting for at least two reasons. The first is about the times: what to do with paint today? What techniques are available to the painter that are likely to further extend what we define as Painting? My-Lan uses acrylic, a synthetic resin that coats the pigments and whose best - or worst - quality is that it dries quickly. Conversely, oil, with a slower siccativity, allows the paint to be reworked “fresh”. Acrylic also dries without cracking thanks to the elasticity of its polymers.
These qualities are at the heart of the uses that artists currently make of this material. The paint, in its strictest materiality, does not just act as a material, but it is considered as the medium itself. It is at the same time a technical and conceptual leap which can be made to go back up the hexagonal genealogy to the explorations of the sculptor César, who undoubtedly understood a little something about Sculpture.

The other technical parameter peculiar to her painting is an uncomplicated use of the printer in line with Wade Guyton's experiments. It is the image printed on the painting that returns it to its background status. Because the paint, even when it is not oil-based, always tries to come to the surface! This upward movement creates the tension that inhabits these small format paintings. In the artist's previous series, the roles were clearly defined: acrylic was the material and printing was the image. Today acrylic combines patterns and forms, it already says much more in Painting. We can find a contemporary equivalent of the small Nabi painting from Paul Sérusier, entitled The Talisman. In short, painting, while continuing to create matter, creates images.

Which brings us to the second reason why the questions about painting that My-Lan poses are interesting. There are other images that inhabit these paintings: naked female bodies stretching like liquids on glass on the surface of these acrylic images. This repeating body is the artist's body, but it is not a self-portrait. As with Cindy Sherman's early black-and-white photographs, it is, above all, the immediate availability of this body that makes it interesting. It is therefore a material, like with acrylic. This figure does not override the material and, while we are used to an image anchoring the painting with its representation, here everything seems like it is floating. The painting and the impression hesitate to unite within a composition or compete in order to win over our gaze. The conclusion could be this: in the context of My-Lan's paintings, acrylic painting poses the same question to these images of printed bodies as the screen of my phone to the images of the pornographic sites I consult.