Quelle que chose
Par Aurélien Mole
(english below)

J’ai étudié la Peinture mais je ne suis pas peintre ou peut-être pas encore ! Mon domaine d’expertise est la photographie et après un certain nombre d’années de pratique, je perçois assez bien ce que c’est que de devenir photographe. Cela se résume au fait d’appuyer sur un bouton.
De même, on peut essentiellement réduire la peinture au fait d’étendre un pigment sur une surface. C’est d’ailleurs pour cette simple raison qu’il est possible de faire le lien entre les grottes de Lascaux et la peinture contemporaine.
Voilà donc ce que c’est que de faire de la peinture. Mais c’est autre chose que d’être peintre. Être peintre, c’est avoir compris quelque chose de la Peinture. En tant que non-peintre, je ne peux parler de ce quelque chose qu’en me reportant de façon analogique à ce que je comprends de la Photographie. Dans le cas qui nous intéresse, ce qu’il faut comprendre de la Peinture est difficilement exprimable. En lisant des livres sur le sujet, on peut comprendre la Peinture mais on ne comprend pas quelque chose de la Peinture. Pour ce faire, il faut se poser des questions en peinture, ce qui implique à minima, d’étendre du pigment sur une surface.

Les questions en peinture de My-Lan Hoang-Thuy sont intéressantes pour au moins deux raisons. La première a trait à l’époque : qu’est ce que faire de la peinture aujourd’hui ? Quelles sont les techniques qui sont offertes au peintre et qui sont susceptibles d’étendre encore ce que nous définissons comme la Peinture ? My-Lan utilise de l’acrylique, une résine synthétique qui enrobe les pigments et qui a pour première qualité ou défaut de sécher rapidement. A contrario, l’huile dont la siccativité est plus lente permet de retravailler la peinture dans le frais. L’acrylique sèche aussi sans craqueler grâce à l’élasticité de ses polymères.
Ces qualités sont au cœur des usages que l’artiste fait actuellement de ce matériau. La peinture, dans sa plus stricte matérialité ne s’étend pas ici sur un support, elle est considérée comme le support lui-même. C’est à la fois un saut technique et conceptuel dont on peut faire remonter la généalogie hexagonale jusqu’aux expansions du sculpteur César qui a n’en pas douter, avait bien compris quelque chose de la Sculpture.
L’autre paramètre technique propre à sa peinture est un usage décomplexé de l’imprimante dans le droit fil des expérimentations d’un Wade Guyton. C’est l’image imprimée sur la peinture qui renvoie celle-ci à son statut de fond. Car la peinture, même quand elle n’est pas à l’huile, cherche toujours à remonter à la surface ! Ce mouvement ascendant crée la tension qui habite ces peintures de petit format.
Auparavant, dans les précédentes séries de l’artiste, les rôles étaient clairement définis : l’acrylique était matière et l’impression était image. Aujourd’hui l’acrylique s’agrège en motifs et en formes, elle dit déjà bien plus de choses en Peinture. On peut y retrouver un écho contemporain de la petite peinture Nabi de Paul Sérusier, intitulée Le Talisman. Bref, la peinture, tout en continuant de faire matière, fait image.

Ce qui nous amène à la seconde raison qui fait que les questions en peintures que pose My-Lan sont intéressantes. Il y a d’autres images qui habitent ces peintures : des corps féminins nus qui s’étirent comme des liquides sur du verre, à la surface de ces images en acrylique. Ce corps qui se répète est celui de l’artiste, sans qu’il soit pour autant question d’autoportrait. Comme pour les premières photographies en noir et blanc de Cindy Sherman c’est avant tout la disponibilité immédiate de ce corps qui en fait l’intérêt. C’est donc un matériau, au même titre que l’acrylique. Cette figure ne l’emporte pas sur la matière et, tandis que nous avons l’habitude qu’une image ancre la peinture dans la figuration, ici, tout semble plus flottant. La peinture et l’impression hésitent à s’unir en une composition ou a rester concurrents pour la conquête de notre regard.
On pourrait donc conclure de cette façon : dans le cadre des peintures de My-Lan, la peinture acrylique pose à ces images de corps imprimés la même question que l’écran de mon téléphone aux images des sites pornographiques que je consulte.

Sans connaitre l’exacte teneur de cette interrogation, je sais pourtant qu’il s’agit d’une bonne question en Peinture.





I studied Painting but I am not a painter, or maybe not yet! My expertise is in photography and after a number of years of practice, I have a pretty good idea of what it is to become a photographer. It boils down to pushing a button.
Likewise, painting can essentially be boiled down to the act of spreading pigment on a surface. It is for this simple reason that it is possible to see a link between the Lascaux caves and contemporary painting.
So that's what painting is all about. But being a painter is something else. To be a painter is to have understood something about Painting. As a non-painter, I can only talk about this “je ne sais quoi” by referring to what I understand about Photography. In this case, it is difficult to express what is understood about Painting. By reading books on the subject, you can understand Painting, but you do not understand anything about Painting. In order to do this, we must question ourselves about Painting, which implies, at the very least, spreading pigment on a surface.

My-Lan Hoang-Thuy's questions about painting are interesting for at least two reasons. The first is about the times: what to do with paint today? What techniques are available to the painter that are likely to further extend what we define as Painting? My-Lan uses acrylic, a synthetic resin that coats the pigments and whose best - or worst - quality is that it dries quickly. Conversely, oil, with a slower siccativity, allows the paint to be reworked “fresh”. Acrylic also dries without cracking thanks to the elasticity of its polymers.
These qualities are at the heart of the uses that artists currently make of this material. The paint, in its strictest materiality, does not just act as a material, but it is considered as the medium itself. It is at the same time a technical and conceptual leap which can be made to go back up the hexagonal genealogy to the explorations of the sculptor César, who undoubtedly understood a little something about Sculpture.

The other technical parameter peculiar to her painting is an uncomplicated use of the printer in line with Wade Guyton's experiments. It is the image printed on the painting that returns it to its background status. Because the paint, even when it is not oil-based, always tries to come to the surface! This upward movement creates the tension that inhabits these small format paintings. In the artist's previous series, the roles were clearly defined: acrylic was the material and printing was the image. Today acrylic combines patterns and forms, it already says much more in Painting. We can find a contemporary equivalent of the small Nabi painting from Paul Sérusier, entitled The Talisman. In short, painting, while continuing to create matter, creates images.

Which brings us to the second reason why the questions about painting that My-Lan poses are interesting. There are other images that inhabit these paintings: naked female bodies stretching like liquids on glass on the surface of these acrylic images. This repeating body is the artist's body, but it is not a self-portrait. As with Cindy Sherman's early black-and-white photographs, it is, above all, the immediate availability of this body that makes it interesting. It is therefore a material, like with acrylic. This figure does not override the material and, while we are used to an image anchoring the painting with its representation, here everything seems like it is floating. The painting and the impression hesitate to unite within a composition or compete in order to win over our gaze. The conclusion could be this: in the context of My-Lan's paintings, acrylic painting poses the same question to these images of printed bodies as the screen of my phone to the images of the pornographic sites I consult.




My-Lan Hoang-Thuy à la galerie Derouillon
Par Sandra Barré
Artpress, novembre 2020

La série que My-Lan Hoang-Thuy propose pour son premier soloshow à la galerie Derouillon (jusqu’au 14 novembre prochain) n’en est pas une. Le terme ne s’y prête pas. L’artiste lui préfère celui de « recherche », ou mieux encore, celui d’« humeur » qui se rapproche davantage de l’émotion, des sensations qui traversent les corps lorsque les évènements sont vécus. Elle en parle comme d’un travail qui prend part à un instant T, sous plusieurs formes, pour toucher au plus près l’idée de l’objet qu’elle a en tête. D’ailleurs, là aussi les mots ont leur importance. Ce que My-Lan Hoang-Thuy façonne sont des « objets » et non des « œuvres ». Ces dernières, trop figées dans leur définition, renvoient au statut sacré de ce qu’on apprécie de loin, avec respect et admiration. Il n’est pas question de cela ici. Au contraire. L’artiste appelle à l’expérience directe et joue, pour se faire, sur les formats. Souvent son travail est fait de petites choses dont il faut s’approcher, qu’il faut examiner, presque ausculter comme on le fait des corps, qui d’après la Théorie des humeurs d’Aristote, doivent être envisagés dans leur ensemble. Les lumières changent selon l’orientation des regards et les impressions évoluent avec le temps que l’on passe à percevoir. Alors certes, ces objets sont accrochés au mur comme des peintures, mais ils n’en sont pas vraiment, du moins, pas seulement.

Déjà parce qu’il n’est pas question ici d’apposer des teintes sur une surface. Définition qui pourrait être conférée à la peinture. Ici, My-Lan Hoang-Thuy mélange ses pigments à une mixture pour en faire une pâte colorée. Elle décline ce procédé en plusieurs nuances et les coule entre-elles laissant apparaître, dans des formats rectangles qui s’approchent de la feuille de papier, des juxtapositions de matières granuleuses. Si les divers pigments renvoient aux procédés des peintres, le rendu s’approche plus d’une petite sculpture plate. Fabricant son support, l’artiste y dépose des images, photographies issues de vidéos d’elles dont elle a fait une impression d’écran. Là, dans ses poses, toutes de dos, attrapées à l’intérieur d’un film autoportraitique, se nichent à la fois l’acte performatif dont l’image serait l’archive, la vidéo et la photographie. Une fois capturée, la pause est imprimée sur l’assemblage de textures. Les corps choisis sont distendus, étirés, ramassés, malmenés presque dans un inconfort qui tort l’image figurative. Celle-ci n’en serait presque plus une. Ces positions peu flatteuses sont entendues par l’artiste comme voulant mettre l’accent non pas sur ce qui est représenté — un corps nu de jeune femme asiatique — mais sur la matérialité de cet assemblage de formes et de couleurs. La nudité s’émancipe du vocabulaire pornographique pour s’établir comme matière. Le corps féminin n’est plus corps, il est un élément de la composition, au même titre que vont l’être un trait, une tache, une couleur ou une forme. Une critique surgie, celle de cette histoire de l’art où le modèle féminin, malléable à souhait, a subi le regard de celui qui le peignait, canonisant la définition de la beauté dans des jeux de nuances chromatiques.

Il y a quelque chose de l’ordre du réemploi dans le travail de My-Lan Hoang-Thuy. Dans les petites humeurs qu’elles proposent s’enlacent divers médiums : la peinture côtoie la sculpture, le dessin, la performance, la photographie et la vidéo. Et le tout renvoie formellement à un temps de création poreux, celui du XIXe siècle où les peintres empruntaient à la culture visuelle nipponne les codes, les symboles et les techniques. Dans les objets de l’artiste, se mêlent aux corps nus, des formes irrégulières laissant apparaître des paysages domestiques où se distinguent une commode ou une fenêtre. Ils évoquent, par exemple, les nabis, caractérisés par la mise en lumière des intérieurs d’alors. Cette inspiration est renforcée par les espaces extérieurs, semblant suspendus, qui rendent hommage aux estampes ou aux kakémonos. Le japonisme, courant occidental ayant signé l’un des renouveaux esthétiques des arts plastiques, s’infuse doucement encore au XXIe siècle. Et ce jeu sur les influences n’est pas sans réactiver les notions d’appropriation et de domination qui bousculent les lectures de l’histoire de l’art. Car si My-Lan Hoang-Thuy évoque les emprunts plastiques faits à l’Orient c’est qu’elle est elle-même issue d’une culture asiatique. D’origine vietnamienne, les questions de colonialisme, d’emprise et de subordination infusent, de fait, son travail, elle pour qui l’histoire de l’art référente est celle s’étant construite en Europe. Tout comme les questions de genre qui, dans un idéal parfait, s’existeraient plus, laissant obsolètes les dysfonctionnements sociaux d’une sur-sexualisation du corps féminin, celles sur les origines et sur les influences transfusent dans ces objets d’art. My-Lan Hoang-Thuy a décidé d’assumer tous ces constituants. Car tout autant que l’Art avec un grand A s’aborde par divers médiums et s’explore avec le corps, directement, il est aussi composé de toutes les identités de celles et ceux qui le font.




My-Lan Hoang-Thuy
Par Étienne Hatt
Artpress n°472, décembre 2019
(english below)

Le décoratif et l’exotisme sont les deux écueils qui semblent devoir menacer le travail de My-Lan Hoang-Thuy. L’artiste diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2018, après une formation en design graphique, produit en effet des peintures, des sculptures et des photographies qui ne correspondent pas au sens que l’on donne traditionnellement à ces réalisations mais s’apparentent à des objets d’art, des ornements ou des bijoux, à la fois discrets et chatoyants, bruts et minutieux, quand elles ne composent pas de véritables décors.

Début 2019, les murs de son exposition Ching Chong Waf Waf, galerie Premier Regard à Paris, alignaient ainsi, à intervalle régulier, une série de petits travaux indéterminés. Certains assemblaient matériaux et objets trouvés, par exemple, du bois, de l’argile, des grelots et une cordelette, ou un coquillage, un anneau métallique et de la peinture séchée. D’autres étaient des photographies imprimées sur des fragments de nacre ou de la peinture acrylique qui semblait directement sortie du tube ou rapidement étalée sur la cimaise. Au centre, sur un socle, se tenaient des objets en bois tournés et vernis aux allures de bouteilles au sommet desquelles étaient incrustés d’autres fragments de nacre imprimés.

Quelques mois plus tard, dans le cadre du Parcours Saint-Germain, Hoang-Thuy occupait la vitrine d’une boutique : sur fond de tenture violette, se détachaient, à trois reprises, une calligraphie à l’acrylique et un lys dans une bouteille posée sur un moellon. Si les vases de fortune étaient peints de la même couleur que les lys blancs, les pétales des fleurs étaient imprimés de petits autoportraits nus.

Par leurs formes volontiers curvilignes, leurs matériaux, leurs motifs, leurs couleurs et leurs surfaces, les travaux de Hoang-Thuy font penser aux arts traditionnels et populaires du Vietnam. Plus précisément, ils renvoient à l’imaginaire véhiculé par ses parents qui y sont nés avant de s’installer en France. Cet imaginaire est double puisque composé des récits d’une existence privilégiée dans le Vietnam des années 1950-60 et de l’expérience du cadre de vie caractéristique de l’immigration vietnamienne. Entre authenticité perdue et simulacre, il se fixe dans des objets comme les portraits photoréalistes en marqueterie de nacre, dont son père évoque le souvenir, ou, en France, les productions chinoises importées qui tiennent lieu d’artisanat. Pourtant, si les bouteilles en bois sont un arbre généalogique de sa famille proche et si elle apparaît volontiers dans ses images, ces évocations ne témoignent pas d’une quête personnelle des origines familiales mais de l’appropriation et du déplacement de l’imaginaire dans lequel elle a grandi. Ses travaux ne font preuve d’aucune fascination ni ironie. Ils ne parlent ni de bon ni de mauvais goût. Ce n’est pas en ces termes normatifs que Hoang-Thuy envisage cet héritage mais, au contraire, en terme d’écart. Jusqu’où doit-elle le déplacer pour exprimer une voix honnête et authentique ?

Cet écart, il se manifeste d’abord dans l’imperfection de ses réalisations. Hoang-Thuy ne cherche pas à maîtriser des savoir-faire spécifiques, comme la marqueterie ou le travail du bois, mais qualifie sa pratique de « bricolage ». Elle ne participe ainsi pas à l’intérêt actuel pour le craft qui donne souvent lieu à des objets très aboutis. Hoang-Thuy cherche au contraire l’accident. Pourquoi, pour le Parcours Saint-Germain, répéter trois fois le même agencement ? Pour y laisser justement se développer les différences. On touche là à un point central de la pratique de Hoang-Thuy qui se manifeste dans son rapport à l’outil et à la technique. Elle retient notamment de sa formation de graphiste le formatage technologique des paramétrages des producteurs de matériel et de logiciels informatiques. C’est pourquoi, à l’encontre des couleurs imposées par l’appareil sur lequel elle a scanné des fleurs, elle a fortement altéré la chromie de celles qu’elle a montrées cette année au salon Approche. La retouche dénature moins l’image qu’elle ne permet de se la réapproprier.

Ces perturbations permettent de déjouer les attentes. Les autoportraits nus imprimés sur des pétales de fleurs aux pistils érectiles pourraient, par exemple, exploiter la fétichisation de la femme asiatique dont la photographie a, par ailleurs, fait son miel. Les poses adoptées par Hoang-Thuy sont bien dérivées de manuels et de références de l’histoire de l’art mais l’artiste y a introduit des changements qui rendent ses images moins sensuelles. Même s’il en était autrement, ces dernières sont si petites qu’elles créent la frustration – d’autant qu’elles finissent par faner. À Jeune Création, Hoang-Thuy présente à nouveau des autoportraits nus. Cette fois, ils sont imprimés sur des feuilles de peinture acrylique. Ils sont, certes, plus visibles que tous ceux que l’artiste a montrés jusque-là, mais cette dernière les a légèrement déformés pour créer l’écart avec l’imagerie érotique.
Le décoratif et l’exotisme ne font ainsi pas partie du vocabulaire de My-Lan Hoang-Thuy.





Decorative and exoticism are the two pitfalls that might seem to threaten My-Lan Hoang-Thuy’s work. The artist, who graduated from Beaux-Arts de Paris in 2018 after studying graphic design, makes paintings, sculptures and photographs that do not match the meaning we traditionally give to this type of production, but are more like art objects, ornamentation or jewelry, both discreet and shimmering, raw and detailed, when they do not form actual sceneries.
At the beginning of 2019, the walls of her exhibition, Ching Chong Waf Waf, Premier Regard gallery in Paris, lined up at regular intervals a series of small undefined works. Some assembled found materials and objects, for example wood, clay, bells and a piece of string, or a seashell, a metal ring and dried paint. Others were photographs printed on mother-of-pearl fragments or acrylic paint that seemed to either have come straight out of the tube or to have been spread on the picture rail. In the centre, on a pedestal, stood varnished turned-wood objects that looked like bottles, at the top of which other printed mother-of-pearl fragments were inlaid.
A few months later, as part of Parcours Saint-Germain, Hoang-Thuy occupied a shop window: against a backdrop of purple fabric, a calligraphy in acrylic paint and a lily in a bottle perched on a rubble stone stood out, in triplicate. While the makeshift vases were painted the same color as the white lilies, small nude self-portraits were printed on the petals. With their curvilinear shapes, their materials, motifs, colours and surfaces, Hoang-Thuy’s works bring to mind traditional and popular Vietnamese arts. To be exact, they refer to a fantasy conveyed by her parents, who were born there and later moved to France. This fantasy is double, because it is made up of tales of a privileged like in 1950-60s Vietnam and of the experience of a living environment characteristic of Vietnamese immigration. Between lost authenticity and sham, it affixes itself to objects such as photorealistic mother-of-pearl marquetry portraits, which her father reminisced about, or, in France, imported Chinese productions that pass for handicraft.
Yet, while wooden bottles are a family tree of her close relatives and while she easily appears in her images, these evocations are not a personal quest for her origins but the appropriation and displacement of the fantasy in which she grew up. Her works do not show any fascination or irony. They are not about good or bad taste. Hoang-Thuy does not consider this heritage in those normative terms, but on the contrary, in terms of gaps. How far must she displace it in order to express an honest and authentic voice?




Ching Chong Waf Waf
Par Julia Marchand

My-Lan Hoang-Thuy semble jouer des onomatopées qui forme son patronyme. Dans la bouche de certain.e.s, son prénom est tout autant cabossé, amputé. « Ching Chong Waf Waf » est la réponse, non dénuée d’humour, de ces mots qu’on écorche. Le titre de cette exposition parle, en sus de sa pratique, de nous. Il tente même de réconcilier les bouts de plusieurs histoires et en premier chef, de la sienne. Il envisage également de cerner les contours d’une chinoiserie contemporaine dans ce qu’elle contient d’ambiguité dans le regard, le goût et la notion diffuse de tourisme.

« Ching Chong »  est le pendant vocal d’un regard mal placé que l’artiste récolte dans les rues parisiennes comme d’autres essuieraient des oeillades complaisantes. « Waf Waf » pourrait être ce chien de porcelaine venu d’ailleurs, un faux semblant de carte postale héritée des Expositions Universelles. La nacre et le bois précieux racontent cette transaction de mains et de regards qui se prolonge jusqu’à notre temps. Nul hasard s’ils deviennent les supports des œuvres de My-Lan dont le format invite à la confrontation intime. Rapprochez-vous s’il vous plait, ici il y a tout à voir ! Ses autoportraits sur nacre soigneusement disposés sur les murs de sa présentation au Salon de Montrouge exhibent et occultent une partie d’elle-même. Elle joue à performer une exhibition contrariée. Quand la nacre attise la curiosité, la miniaturisation parachève le caractère d’une œuvre faussement fétiche. La pièce s’ouvre en réalité sur une tout autre problématique. Cette dernière est l’histoire personnelle de l’artiste dont elle tente, année après année, de reconstituer les morceaux par l’intermédiaire de la parole et de la photographie, toute entière tournée vers un processus de reconstruction de soi. Un soi qui s’érige face à la fragmentation d’un récit familial, un soi qui s’amplifie face au « Ching Chong » sonnant à l’unisson. Ses autoportraits s’adossent à la double histoire d’un individu en quête de sa propre histoire et de notre regard éclaté par l’appel d’exotisme. L’artiste a réussi à faire sienne la Chinoiserie des temps modernes ; elle adopte ce regard de tourisme gazeux comme modalité d’émerveillement, comme outil de captation de la lumière ou de construction de récit balnéaire. Les images de cette exposition en témoignent, tout comme le sont les palettes de peinture qui adoptent un air domestique confortable et rapide, séduisant et mobile. Sur chaque monticule soyeux de peinture se pose une image-souvenir. La photographie revient, détournée, cabossée, amputée, érotique et contrariée à l’image de ce qui sonne comme une onomatopée. La nacre a cédé et avec elle, l’emploi d’un matériau naturel. L’artifice prend la relève pour nous charmer en nous contant l’histoire des entreprises d’ameublement qui continuent de rêver d’ailleurs, de bois d’essence asiatique ou africaine afin de prononcer de nouvelles onomatopées. « Ching Chong Waf Waf ».



Notices
Par Aurélien Mole :

Le graphisme dans sa dimension technique occupe une part importante dans la formation et l’imaginaire de My-Lan Hoang-Thuy. Logiquement, c’est moins l’aspect communicationnel traditionnellement attaché à cette discipline qu’une interrogation sur la façon dont les signes et les images sont produits et diffusés qui a guidé ses recherches et l’a orienté vers les arts plastiques. La pratique du dessin est l’autre courant qui irrigue la pratique de cette jeune artiste formée à Dupérré et aux Beaux-Arts de Lyon et de Paris. Ainsi, la dimension gestuelle qui anime une ligne est un élément récurrent de son travail.


Sans titre (pomme) est un petit amas de peinture acrylique énergiquement étalé et figé dans cet état par évaporation de la part aqueuse du liant qui ne laisse que la résine et le pigment. Dans l’épaisseur du medium, on distingue assez aisément ce qui est de l’ordre de la peinture pressée du tube des différents gestes d’étalements de la pate. A la surface de ce geste figé, l’artiste a imprimé à l’aide d’une imprimante jet d’encre une de ces images qu’elle réalise lorsqu’elle est en voyage. A une époque ou l’image glisse d’un écran à l’autre à la vitesse de la lumière, l’imprimer sur de la peinture provoque une forme de ralentissement qui conduit à l’observer de façon plus intense et à se demander de quel pigment ces images numériques sont-elles faites ?


Sans titre (peinture) est la pétrification du geste nonchalant qui consiste à presser de la peinture hors du tube. Ici, l’évaporation de la part aqueuse du liant ne laisse que la résine et le pigment blanc dessiner une forme de calligraphie de l’écoulement. A la surface de ce geste figé, l’artiste a imprimé à l’aide d’une imprimante jet d’encre une de ces images qu’elle réalise lorsqu’elle est en voyage. Le tracé de la peinture délimite la surface sur laquelle l’image peut se déposer au point de rendre celle-ci quasi abstraite. Combinant les traditions gestuelles et figuratives de la peinture sans qu’aucun de ces deux courants ne prenne le dessus, My-Lan Hoang-Thuy produit des dialogues complices entre la matière et l’image qui obligent sans cesses à ajuster son attention pour déchiffrer ce que l’on regarde.


Nu IV est un morceau de nacre sur laquelle l’artiste a imprimé une image détourée qui la représente nue. Si les dimensions de l’objet renvoient d’emblée à la tradition de la miniature, elles obligent aussi à lire ce corps comme un signe où demeure une ambigüité : l’artiste fait-elle ou forme-t elle un signe ? Autrement dit, est-ce que son attitude et ses gestes expriment une situation un peu comme le ferait un mime ou bien, est ce que les contours de son corps dessinent un pictogramme non identifié ? En refusant de trancher entre ces deux possibilités, My-Lan Hoang-Thuy se tient à la limite de ce qui différencie un idéogramme (caractère qui représente une idée) d’un phonogramme (caractère qui représente un son). A moins qu’il ne s’agisse de l’image d’un corps féminin ?


L’Oreille est un coquillage dans la nacre duquel des trous ont été percés afin d’y faire passer un anneau en métal sur lequel est accroché de la peinture acrylique noire étalée en un entremêlement de courbes et de contrecourbes qui a séchée. Ce collage de petites dimensions renvoie aux assemblages beaucoup plus monumentaux des premières expositions de l’artiste qui associaient des fleurs aux pétales recouverts d’images, des couvertures imprimées et des éléments sinueux en bois découpé et peint. Ici, c’est l’image d’une oreille ornée d’un bijou qui vient à l’esprit. Une oreille faite dans la matière des bijoux, en se plaçant d’emblée du coté du décoratif, My-Lan Hoang-Thuy joue à comprendre comment l’ornemental peut faire signe sans sombrer dans l’ostentatoire ?


Ikebana est une peinture miniature (à moins qu’il ne s’agisse d’une sculpture ?) réalisée en acrylique séchée. Ici trois teintes on été disposées les unes sur les autres, comme sorties du tube, dans une composition sinueuse. Peinture qui figure le geste sans être figurative, Ikebana évoque aussi le moment où les pigments sont disposés côte à cote sur la palette du peintre avant d’être mélangés et étalés sur la toile. On peut se demander quelle couleur ces trois teintes donneraient mélangées ensemble ? On peut aussi les envisager comme un collage, une composition qui associe formes et couleurs, un peu à la façon des ikebanas, ces arrangements floraux bidimensionnels de tradition japonaise, faits pour exalter le dessin des végétaux autant que la variété de leurs teintes.



Par Léa Chauvel-Lévy
Catalogue du Salon de Montrouge 2018

Bicéphale. C’est en effet peut-être un travail de mémoire à deux têtes que l’artiste plasticienne My-Lan Hoang-Thuy met en scène inconsciemment. S’entremêlent dans ses créations deux cultures visuelles présentes par touches, l’une occidentale, l’autre vietnamienne. La culture occidentale est pour sa part directement liée à ses études, franco-suisse, des études de design graphique où l’histoire de ses codes et son effet sur le conditionnement des esprits l’imprègnent durablement. Il en découle formellement des créations qui interrogent le pouvoir et l’impact du langage visuel sur la société. C’est le cas notamment de sa série de sculptures en bois créées en outre à partir de signatures des grands noms de la Sillicon Valley (Sergey Brin, co-fondateur de Google ou encore Mark Zuckerberg co-fondateur de Facebook). En dessinant dans l’espace de façon sculpturale ses signatures de personnalités à l’origine des outils que l’on utilise tous les jours dans le monde entier, l’artiste s’attèle à démontrer une standardisation, voire normalisation mais aussi à la décrypter. Son analyse est fine : définir l’outil c’est influer sur la forme. Aussi, remonte-t-elle à la source d’une typologie d’outils symboliques (Mac, Photoshop, appareil photo, ou encore outil de recherche tel que Google) pour tenter de renverser un certain ordre visuel prévisible et dicté. Utiliser ces signatures spécifiques, revient à tenter d’échapper au sort du prédictible et de la traçabilité. L’autre pan de son travail, source plus enfouie mais notable dans ses créations est cette culture asiatique, parfois kitsch selon ses mots, qui émerge sous la forme de matériaux tels que la nacre, le bois, ou certains motifs floraux, à l’instar de ses fleurs délicatement tatouées ou de ses sculptures qui reprennent parfois la structure de temples extrêmes-orientaux. Ses autoportraits sur nacre, petits éclats de sa propre image renoue avec deux histoires ; la sienne bien sûr mais celle de la photographie ici détournée de son support traditionnel. C’est également le cas pour les photographies qu’elle a prises d’environnements personnels, imprimées sur PVC qui permettent là encore à l’image de sortir du cadre. Emanciper les techniques, les renverser, ainsi se structure la démarche d’une artiste qui connaît trop bien la technique, les outils et les machines pour ne pas, un peu et gentiment, les malmener. Conjurer le prévisible, perturber l’attendu.